Le roman prêté
Lorsque Candida Julietti décéda à
l'âge de quatre-vint trois ans et que le notaire eu réglé
ses affaires, l'un de ses petits-fils prénommé Bertrand
trouva la lettre suivante enfuie sous une pile de vieilles recettes
de cuisine, dans l'un des tiroirs récalcitrants de la commode
du petit salon.
Chère mademoiselle,
Je ne résiste pas à l'envie de vous
écrire ces quelques mots au sujet du roman que vous m'avez
si obligeamment prêté : " La maison du sommeil ".
Si les premières lignes m'ont fait craindre le pire - l'histoire
d'une relation malsaine victime/bourreau, entre deux étudiants
anglais dans l'univers d'Elisabeth Milton ou Minette Walace - il n'en
fut rien heureusement.
La découpe cinématique de l'ouvrage est déconcertante
mais aussi intéressante que le contenu de ce roman riche et
étonnant.
Celui-ci ne m'a donc pas laissé indifférent.
Aussi je tiens tout particulièrement à vous remercier
de m'avoir permis de découvrir ce livre et un nouvel auteur.
L'histoire et surtout sa trame narrative sont tellement accrocheuses
que je n'ai pu me détacher du récit qu'il me fallut
lire d'une traite. C'est ainsi que j'ai dévoré ce livre
en à peine une semaine. La richesse du propos m'a tenue en
haleine telle l'intrigue d'un roman policier. Par votre faute je n'ai
pu effectuer la promenade que j'avais projetée mercredi dernier
au Parc Pastré. J'ai sacrifié cet instant au bénéfice
de la lecture, en pleine journée, chose inhabituelle chez moi.
En effet, j'ai pour habitude d'apprécier la lecture blotti
le soi rau creux dans mon lit et non à la lumière du
jour, allongé sur mon canapé.
Comme vous me l'aviez précisé, l'auteur entremêle
le destin de ses personnages et jongle également entre deux
époques. Le film " Beauté fortuite " d'Aimé
Roland, projeté l'année dernière au cinéma
Le Rialto, qui m'a fortement impressionné, exploite également
à merveille les fils du destin de plusieurs personnes.
Pour finir, je dirai que ce roman c'est aussi l'histoire d'un amour
impossible à travers cinq personnages.
P.S.
J'ose profiter de l'occasion qui m'est donné de vous écrire
pour vous déclarer à nouveau la flamme de mon amour.
Je sais que vous avez divers soucis en ce moment et que vous n'avez
pas le cur à cela, mais je ne puis contenir plus longtemps
mes sentiments.
On donne une représentation, assez réussi paraît-il,
d'une pièce de théâtre dont j'ai oublié
malheureusement le nom et à laquelle j'aimerai vous convier,
si le cur malgré tout vous en dit, et si les événements
nous le permettent. Je passerai bientôt vous rendre visite à
ce sujet.
Respectueusement vôtre.
Guillaume Georges
La lettre était vieille, le papier jauni et élimé
dans un état pitoyable. Elle semblait avoir été
maintes fois dépliée et repliée car le papier
se cassait aux pliures. La date était illisible ; elle était
apparemment inscrite sur l'angle gauche en partie manquant.
Bertrand retourna entre ses doigts l'enveloppe qui accompagnait la
missive. Le cachet de la poste de Dunkerque apposé sur le timbre
d'époque indiquait la date du 15 mai 1940.