La musique est plus belle, plus complice quand il a
bu.
Deux bières suffisent et trois c'est l'extase.
Il a la tête qui s'ouvre aux sons et aux images, tout son univers.
Les gens ? direz-vous. Quels gens ?
Où sont les gens qui l'aiment ?
Où sont ceux qu'il aime aujourd'hui?
Il a l'impression de pouvoir dessiner la lune et la
peau nue des femmes sur la feuille blanche, avec leur grain de peau
inimitable, leurs peurs et leurs amours qui perlent.
Et leurs seins ne sont plus qu'îles de blanche heure inaccessibles.
Il va tout dessiner, tout écrire ; du moins il le croit.
Mais en réalité il reste là, figé sous le
charme d'une bière blonde, accompagnée d'Alicia Keys si
douce.
Il a toujours été amoureux des boîtes,
sous toutes leurs formes et leurs essences ; car on peut tout y cacher.
Il y enfoui des capsules de bières comme autant de butin, des
galets sauvés sur les plages, quelques vieux bijoux sans valeur
de ses surs, et de minuscules morceaux de bois usés, ballottés
par la mer.
L'instant est propice aux souvenirs. Alors il se remémore.
Dimanche, dans cette salle louée pour l'occasion
dans l'Yonne, tout le monde était présent, toute la famille
et les amis, pour fêter les dix-huit ans de son fils sous les
guirlandes et les ballons verts et jaunes,
même François qu'il n'a pas vu depuis tant d'années,
qu'il a accueilli à bras ouverts (si juste expression) pour lui
témoigner son amitié.
Même François...
Celui-ci pleure à présent dans un coin
sombre de l'entrée, épaule contre chambranle.
Son visage se découpe étrangement dans la pénombre,
masque grimaçant.
C'est un film de Lelouch. Avec sa musique et ses couples
qui tourbillonnent. Les enfants courent, les amis s'enivrent, tout le
monde s'agite. Corinne et Claude s'engueulent dans la cuisine, des acteurs
interviennent et les séparent.
Ralenti de la caméra
Il se lève et va le voir.
François pleure comme un enfant ; il marmonne qu'on ne peux le
comprendre, qu'il souffre. Qu'il n'a pas connu son neveu !
Il lui parle doucement ; doucement il efface, comme dans un rêve,
les larmes du dos de la main, comme on le ferait sur la joue d'un enfant.
Il lui dit d'oublier sa peine un instant, de profiter du moment présent,
de ce jour unique, que le passé est du domaine du passé
Mais l'autre répète inlassablement, comme un enfant, qu'on
ne peux pas comprendre, qu'il souffre.
Et pour exprimer cette souffrance, les larmes coulent sur son visage
usé, buriné par le temps et l'alcool.
Il les efface à nouveau du même geste tendre.
Mais les mots et les larmes d'amertume s'écoulent toujours sous
les yeux fiévreux.
Et l'instant se répète.
Alors il s'écarte, sort de l 'ombre ; il s'en
va rejoindre les autres, se mêler à eux pour danser sur
la piste la musique qui l' attire. Il n'a pas le vin triste.