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Le déluge

Le déluge.

 

Alors bon, cette fois on s'est dit : il faut s'y préparer.
On a donc reprit de A jusqu'à Z les plans de Noé.
On a retracé, retaillé, revu et corrigé
Puis fait appel aux meilleurs charpentiers.
Sur les meilleurs chantiers de l'Atlantique
S'y sont attelés les meilleurs ouvriers.
Bien sur, ça a coûté un max de pognon
Mais pas fous on avait déjà repéré
Un vieux milliardaire qui finit par céder.
Bien sur, ça a duré des années.
Bien sur, beaucoup de gens en ont rigolé
Mais on a bu des coups, on a discuté, et on s'est échauffé,
On a transpiré, et peiné jour après jour tant et plus
Qu'un jour sur un port le navire à l'immense coque
Et aux mâts triomphants brandis vers le ciel
Devint enfin réalité.
Par mesure de sécurité
Aux fières voiles on ajouta
Un moteur pour pallier au manque de vents.
Et puis on s'arma de patience et on attendit.
Les touristes venaient le visiter
Pensez ! Un navire tout en bois
Depuis longtemps on en construisait plus.
Un navire sur ses bers qui ne verrait jamais la mer
Qui ne sentirait que l'eau de pluie, c'était bien rigolo.
Les bâtisseurs ne virent rien venir à l'horizon
Et certains même en moururent de dépit.
Leurs enfants non plus mais eux vécurent sans soucis.
Parvenu à la troisième génération
Les cieux s'ouvrirent soudain aux pluies.
Les eaux des ruisseaux, et des lacs, et des océans
Se mirent à monter à l'assaut des monts.
Alors on décida d'embarquer pour de bon.
Hélas, peu de gens possédaient encore des billets
Et les animaux surtout furent du voyage.
Le bateau sortit de son berceau porté par les flots
Et vogua au loin à la recherche de terres sauvages.
Tout se passa si bien malgré la pluie incessante
Et les provisions étaient si abondantes
Qu'on fit fête et ripaille comme à l'ancien temps
Car il fallait bien y passer son temps.
Mais un jour qu'on approchait d'une terre inconnue
La tempête faisant rage ballotta la coque comme un fétu
Démâta le puissant et le poussa sur des rochers.
Les flancs du bateau s'y fracassèrent de mal grée.
On embarqua dans les canots de sauvetage
Chacun tenant à deux mains sa bouée.
Il fallut abandonner à leur triste sort
Les couples d'animaux promis à un nouvel eden.
Et l'on regarda le bateau sombrer
De loin, emmailloté dans sa petite laine.
Accostant sur le rivage d'une île qui semblait accueillante
On prit possession des lieux dans la bonne humeur
Quant tout à coup quelqu'un pointa du doigt la mer agitée.
Et tous virent lentement s'épanouire sur les flots
Une nappe de mazout qui s'échappant des soutes
Partait lentement mais gaiement à l'aventure
Et l'aventure c'était la plage de sable fin
Où leurs pieds laissaient des empreintes dans les grains.
Alors ils firent rapidement quelques calculs,
Et se rappelèrent avec amertume
Que le navire avait transporté en son ventre
Assez de mixture pour polluer bien longtemps l'écume.